• La légende du rang des Saints-Anges          


    Il y a très longtemps, lorsque les premiers villages se sont installées fièrement au pied des montagnes de la Gaspésie pour contempler la mer, une histoire d'extraordinaire est arrivée, tellement extraordinaire qu'elle est devenue la légende du rang des Saints-Anges .  Je vais donc vous raconter cette mystérieuse légende transmise de bouche à bouche par chaque génération qui nous rappelle que la magie de Noël ne s'enfarge jamais dans les impossibles qui nous trottent dans la tête.

    Il était une fois, le plus beau des villages de la Gaspésie avec son église solidement assise sur un rocher, coiffée d'un clocher qui tentait de s'étirer la main jusqu'au ciel. Autour de l'église, il y avait un chapelet de petites maisons en bois éparpillées le long du chemin qui longeait la mer. Et comme tout village qui se respecte, il y avait aussi un magasin général, une auberge, un bureau de poste, la maison du notaire, une forge, son petit havre de pêche et une belle poissonnerie dont la spécialité était la morue salée séchée. ¸À côté de l'église, il y avait un chemin qui longeait le cimetière et qui grimpait dans la montagne. Ce chemin avait été baptisé le rang des Saints-Anges par monsieur le curé. En le voyant lorsqu'il était arrivé dans la paroisse, ce chemin lui avait donné l'impression qu'il touchait aux nuages, et pour lui les nuages célestes rimaient inévitablement avec les anges du ciel. Il n'aurait jamais pensé que ce chemin porterait aussi son nom parce qu'il serait le théâtre d'un miracle digne des Évangiles.

    Thérèse et Anatole étaient le seul couple qui avait osé défricher un lopin d'épinettes pour installer leurs pénates en bordure du rang des Saints-Anges. Ils avaient bâti leur maison près d'une source et ils avaient décidé que leur terre, installée en flanc de colline, serait l'endroit idéal pour y faire l'élevage d'un troupeau de moutons. Thérèse possédait une cardeuse et un rouet qui possédaient une touche magique.  Ces instruments avaient le don de si bien étirer et enrouler le brin de laine qu'elle ne démangeait jamais lorsqu'elle touchait à la peau. Tout le monde au village portait au moins un morceau de vêtement tricoté avec la laine du troupeau de Thérèse et d'Anatole. Le renommée de la laine qui ne pique étaient tellement légendaire qu'elle était parvenue à faire le tour de la péninsule Gaspésienne.

    Comme bien des gens de leur époque, Thérèse et Anatole étaient des croyants très fervents qui ne reculaient devant rien pour gagner leur ciel.  À l'approche de chaque Noël, ils avaient pris l'habitude de décorer l'église. Ils étaient très disponibles puisque le couple n'avait pas d'enfants et la nature semblait avoir faite en sorte qu'ils ne puissent jamais en avoir.

    ---Dieu du ciel, vous avez encore endimanché mon église comme si c'était un voilier royal, s'exclama le curé de la paroisse en encensant le travail de Thérèse et d'Anatole.

    Il avait grandement raison de vénérer la féerie qui étoilait son regard. La crèche, faite de bois, portait un toit de chaume. Elle était plantée sur des valons bâtis avec du vrai sable. Des plantes naturelles formait un oasis en bordure d'un vase d'eau bénite. C'était sans oublier l'effet boeuf des guirlandes de coquillages et des nombreuses banderolles qui étaient suspendues après les jubés et les lustres.  Il y avait aussi l'étoile des bergers hissée au-dessus de la lampe du sanctuaire. Bien entendu, les moutons portaient tous une toison confectionnées avec de la vrai laine. 

    ---C'est rien. Dieu mérite bien qu'on enguirlande son temple, répliqua Anatole, heureux de constater que le curé roucoulait de bonheur comme un coq fier de sa bassse-cour.

    ---Je vous souhaite que votre dévouement vous soit rendu au centuple, insista le curé en sautillant toujours de joie.

    Une tempête triste traversa le regard de Thérèse. Ses yeux tombèrent vers le plancher.

    Le curé remarqua le ressac de la houle du chagrin qui noyait le moral de sa paroissienne.

    ---Ne désespérez pas, vous finirez bien par avoir un enfant.

    ---J'ai dépassé l'âge d'avoir des petits, déclara Thérèse pour signaler qu'il était trop tard.

    ---Rien ne résiste aux volontés de Dieu. Priez et vous serez récompensés.

    Que peuvent bien valoir les prières lorsque la nature a décidé que le temps d'avoir des enfants étaient fini? Thérèse arma sa langue avec le goût de décharger un tonneau de blasphèmes, mais son regard se buta sur le visage de ce bon curé qui, dans le fond, tentait de la consoler au meilleur de sa connaissance.

    ---Je vais continuer à prier, échappa-t-elle avec un manque de foi flagrant.

    ---Je fais tout ce que je peux pour que Dieu entende votre prière, insista le curé en joignant les mains et en levant les yeux vers le ciel.

    ---Merci, ajouta Thérèse en enfilant le manteau que lui apportait Anatole. Le signal indiquait qu'il était l'heure de déguerpir pour aller s'occuper de la bergerie.

    Aussitôt qu'Anatole et Thérèse furent disparus, le bon curé s'agenouilla devant l'autel.

    ---Cette année, donnez leur donc le cadeau qu'il mérite, implora-t-il en terminant avec un signe de la croix.

    Sur le chemin du retour, Thérèse parvint à jeter son chagrin aux oubliettes en se repliant sur son bonheur de vivre auprès d'Anatole. Il faut avouer aussi que la semaine qui précédait Noël ne laissait pas beaucoup de temps pour s'apitoyer sur son sort. Il y avait tant de choses à préparer: tourtière, pâté, tartes, beignes.

    La veille de Noël, Anatole avait toujours l'habitude de descendre au village pour aller chez la barbier. Il atela donc son cheval et fit honneur à sa tradition. En réalité, Anatole ne faisait pas que raccourcir ses cheveux, il en profitait toujours pour passer au magasin général y cueillir un bijou qu'il avait commandé dans un catalogue ce qu'il fit une fois de plus. Sur le chemin du retour vers sa Thérèse, soudainement le beau temps ensoleillé se transforma un blizzard qui l'empêcha de voir ni ciel ni terre pendant quelques minutes. Incapable de savoir s'il avançait dans la bonne direction, Anatole fut obligé d'arrêter son cheval. Lorsque le vent du blizzard cessa de souffler, le traîneau était empli de neige et la silhouette blanchie d'un homme apparue.

    Il était planté dans la neige jusqu'au genoux comme si une baguette magique l'avait déposé là.    Il ne bougeait pas.

    Intrigué, Anatole débarqua de son traîneau. Il se rendit jusqu'à l'inconnu de peine et de misère en tentant de traverser le banc de neige qui le séparait de lui.

    ---Est-ce que ça va? demanda-t-il.

    Aucune réponse.

    ---Quel est votre nom? ajouta-t-il en déposant sa main sur le bras de l'inconnu. Aussitôt qu'il lui eu touché, la neige qui couvrait l'inconnu commença à fondre. C'était comme si un bonhomme de neige prenait soudainement la forme d'un être humain. Anatole recula de deux pas, en croyant qu'il rêvait.

    ---Merci mon brave, répondit l'inconnu en souriant comme si aucun blizzard ne l'avait enseveli.

    Anatole resta coincé dans ses points d'interrogation.

    ---Pourquoi me remerciez-vous? Je n'ai rien fait.

    ---Vous avez fait beaucoup plus que vous pensez en vous inquiétant pour moi, répondit l'inconnu en inclinant la tête.

    Étrange, cet inconnu parlait comme un curé ou...

    ---Êtes-vous un médecin?

    L'inconnu ria à dents déployées. Plus il regardait Anatole, plus son rire s'embalait comme un cheval qui prend le mors aux dents.

    La réaction dérouta Anatole.

    ---Je suis un quêteux, informa l'inconnu en montrant ses bottes percées, ses vêtements en haillons et en délivrant son baluchon de la neige.

    L'inconnu avait à peine prononcer la dernière parole que ses dents commencèrent à claquer de froid. Anatole l'invita immédiatement à monter dans son traîneau en le couvrant avec une bonne couverte épaisse. Il lui proposa de l'amener chez lui pour le réchauffer en gardant l'idée derrière la tête de l'héberger au moins pour le temps des Fêtes.

    Le traîneau décolla. La neige laissé par le blizarre disparut immédiatement. Anatole tourna la tête derrière lui, il y avait un banc de neige uniquement à l'endroit où il avait cueilli l'inconnu. Ça donnait l'impression que la montagne de neige qui emplisait le chemin était tombée du ciel comme par enchantement et que l'inconnu en avait fait autant.

    Arrivée à la maison, Anatole s'empressa de faire entrer l'inconnu chez lui. Thérèse comprit rapidement qu'il y avait urgence en la demeure. Elle s'empressa de prendre l'inconnu en charge pendant qu'Anatole s'occupait des chevaux et du traîneau. Elle ramassa rapidement une chaudière d'eau chaude, des serviettes, du savon du pays et des vêtements de laine qu'elle déposa dans un petit appartement clos à l'abri des regards indiscrets. L'inconnu se sépara de ses vêtements, se débarbouilla de la tête aux pieds et il enfila les vêtements neufs.

    Pendant ce temps Anatole raconta en quelques mots le mystère de sa rencontre avec l'inconnu. Thérèse l'écouta attentivement.

    ---C'est certainement un signe du ciel. Il faut absolument tout faire en notre bon vouloir pour lui manigancer un beau Noël. Ce soir, nous allons l'amener à la messe de minuit, suggéra-t-elle.

    Anatole entérina le bon geste de Thérèse en clignant des yeux.

    Sur l'entrefait, l'inconnu arriva dans la cuisine. Son lavage à la serviette et les vêtements neufs qu'il avait enfilés venaient de faire prendre le bord à son apprence de quêteux.

    ---Merci, chuchota-t-il en glissant sa main dans ses cheveux bouclés. J'espère que Dieu vous le rendra au centuple.

    Anatole et Thérese se regardèrent en riant. C'était la deuxième fois que quelqu'un leur formulait un tel souhait à l'approche des Fêtes.

    ---Est-ce que j'ai dit quelque chose de drôle? questionna l'inconnu, un peu déboussollé.

    ---Du tout, rassura Anatole en continuant à rire.

    L'inconnu souleva les épaules en croyant que se devait être la coutume de la maison de rire de tout et de rien. Il se dirigea vers ses bottes et son manteau et il fit mine de partir.

    ---Vous n'avez pas envie de nous fausser compagnie la veille de Noël, reprocha Anatole.

    ---Je vous ai assez dérangé comme ça, rétorqua l'inconnu.

    ---Qui donc ici vous a dit que vous dérangez, répliqua Thérèse en souriant pour le mettre au pied du mur.

    ---Personne, avoua l'inconnu.

    ---Si la chose vous intéresse, nous vous proposons de souper avec nous, d'aller à la messe de minuit et de réveillonner, avança Thérèse.

    ---À part ça, vous resterez ici le temps que vous voudrez. Deux bras de plus ne seront pas de refus pour s'occuper de la bergerie, ajouta Anatole.

    L'inconnu se passa la main dans le visage. De toute sa vie de miséreux, il n'avait jamais reçu une aussi belle invitation servie sur un plateau d'argent.

    ---Vous me gênez...

    ---Où il y a de la gêne, il n'y a pas de plaisirs. Sauf votre respect, permettez-moi de vous offir un manteau et une paire de bottes qui ne ressemblent pas à une passoire, suggéra Anatole.

    L'inconnu se laissa guider par la générosité des ses hôtes. Pendant le souper, il parla un peu de son passé: il était l'enfant unique d'un père ivrogne qui avait fini par faire mourir sa mère de chagrin et qui l'avait abandonné à l'âge de 9 ans. Depuis, Nicolas, puisque c'était son nom, avait vogué de place en place, mendié, dormi à la belle étoile bref, vécu de peine et de misère en tirant le diable par la queue. L'histoire tira quelques larmes à Thérèse qui se disait que c'était un crime que des parents abandonnent leurs enfants alors qu'elle désirait tant en avoir sans que la nature exhauce ses prières.

    Anatole se chargea de préparer Nicolas pour la messe de minuit. Il ramassa un set endimanché dans sa garde-robe pour qu'il soit vêtu comme un prince. Heureusement, Nicolas avait pratiquement la même taille qu'Anatole. Une fois de plus, la générosité du partage toucha le coeur de Nicolas. Il aurait tant désiré avoir des parents aussi bien appareillés.

    Nicolas devint vite la cocluche des regards de la messe de minuit. Dans un village où tout le monde se connaît, les étrangers ne peuvent pas passere inaperçus. Même le curé céda à la tentation de sa curiosité lorsque Nicolas alla lui donner la main.

    ---Nous avons décidé de lui donner un cadeau de Noël, expliqua Anatole pour bien emballer son bon geste.

    Le curé croula devant ce couple si formidable et il leva les yeux vers le ciel en insistant une fois de plus auprès de Dieu pour qu'il leur fasse connaître le bonheur d'avoir un enfant.

    Au retour de la messe de minuit, le réveillon d'Anatole et de Thérèse prit une tournure magique avec la présence de Nicolas. Tous les trois, jasèrent comme des pies, se racontèrent des histoires parfois un peu grivoises, rirent à gorge déployée et s'amusèrent comme des larrons en foire. C'était à croire qu'ils avaient passé leur vie ensemble. Arriva le moment de l'échange des cadeaux: un bijou pour Thérèse, une pipe neuve pour Anatole, une provision de bas et de sous-vêtements en laine pour Nicolas.

    La féérie de Noël et de son partage prenait tout son sens, mais l'atmosphère familiale de la fête chagrina Nicolas. Il n'avait jamais goûté à un moment aussi chaleureux et il n'avait rien à offrir à ses bienfaiteurs.

    ---Ta présence est déjà le plus beau cadeau du monde. Tu nous donnes la chance de toucher à ce qu'aurait pu être notre vie si nous avions eu un fils, précisa Thérèse pour lancer une bouée de sauvatage à la tristesse de Nicolas.

    ---Nous ne pouvons pas avoir d'enfants, ajouta Anatole pour donner plus de poids aux paroles de Thérèse.

    Nicolas resta muet. La richesse du don qu'il venait de faire le toucha profondément. Des frissons ébranlèrent sa colonne vertébrale. Les deux êtres qui le contemplaient comme un don de Dieu pouvaient devenir ses parents. Il avait enfin trouver un port d'attache assez solide pour le protéger contre vents et marées.

    ---C'est le plus beau Noël de ma vie, avoua-t-il en essuyant les larmes qui coulaient sur ses joues.

    ---Nous avec, ajoutèrent Thérèse et Anatole en taquinant aussi des larmes qui glissaient sur leurs joues.

    Ce petit mélo moment sonna la cloche du temps d'aller se coucher. Thérèse guida Nicolas vers sa chambre et lui souhaita une bonne nuit. En quittant la chambre, elle resta un peu hébètée. Elle avait l'impression que Nicolas avait rajeuni. Était-ce l'émotion ou l'aveuglement des larmes qui voilaient son regard? Elle en toucha un mot à Anatole qui confirma que Nicolas donnait vraiment l'impression d'avoir rajeuni, mais la réflexion en resta là. Il y a parfois des mystères qu'il vaut mieux ne pas trop fouiller.

    Le lendemain matin, Thérèse fut tirée de son lit par le cri d'un bébé qui provenait de la chambre de Nicolas. Elle pensa qu'elle rêvait. Anatole confirma bel et bien qu'un bébé pleurait. Était-ce un mirage? Leur désir d'avoir un enfant leur faisait-il entendre des voix? Les deux époux se rendirent dans la chambre de Nicolas en courant.

    C'était confirmé, un bébé nu se dandinait sur le lit et les vêtements de Nicolas était à côté de lui comme s'il s'était évaporé. Thérèse s'approcha du bébé, le coeur affolé à un tel point qu'il menaçait de sortir de sa cage thoracique. Elle emmaillotta rapidement le bébé dans un drap pour qu'il ne prenne pas froid.

    À côté du bébé, dormait une lettre dont la calligraphie faisait penser aux précieux livres écrits par des moines. Anatole cueillit délicatement la lettre et il commença à la lire en compagnie de Thérèse.

    Chers amis,

    Je ne vous ai pas menti en vous racontant que mon père ivrogne avait fait mourir ma mère de chagrin et qu'il m'avait jeté à la rue. J'ai simplement oublié de vous dire que je suis mort de faim et que mon âme s'est  mise à errer à la recherche de parents qui m'aimeraient. Pendant mon errance, j'ai rencontré un grand mage qui a décidé de m'accorder une chance de vivre dans une famille qui m'aimerait. Depuis ce temps, à chaque veille de Noël, je viens sur terre en espérant dénicher un couple qui veut de moi. Malheureusement, j'ai toujours eu la malcanche de tomber sur des familles nombreuses qui avaient déjà beaucoup d'enfants ou des êtres avaricieux qui ne pensaient qu'à m'utiliser pour leur aider à s'enrichir. Hier soir, lorsque j'ai vu toute l'amour qui régnait dans vos yeux, j'ai immédiatement compris que je venais de trouver les perles rares que je cherche depuis  plus de vingt ans. Cette nuit, j'ai reçu un message du mage qui me protège me confirmant que vous serez des parents qui m'aideront à accomplir mon rêve. Il m'a donc transformé en bébé pour que vous ayez la joie d'avoir un enfant.

    Voici le cadeau que je vous offre.

    Joyeux Noël

    Signé: Nicolas.

    Thérèse observa les yeux du bébé qui gigotait dans ses bras. Ils ressemblaient vraiment à ceux de cet inconnu qui avait réveillonné à sa table la nuit passée.

    Ce fut le plus beau des Noël de Thérèse et d'Anatole. Ils accoururent faire baptiser leur enfant.

    ---C'est un miracle, s'écria le curé en écoutant l'histoire de la naissance de Nicolas.

    C'est ainsi que prit naissance la légende du rang des Saints-Anges qui fut transmise de génération en génération jusqu'à aujourd'hui. C'est maintenant à votre tour de raconter cette légende à vos enfants afin qu'elle ne se perde pas dans la nuit des temps.

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